11 déc. 2018

Un roitelet inexpérimenté, qui prend son peuple pour une bille


Je suis un peu fatigué de ces éditoriaux complaisants sur lesquels je tombe, qui louent tous l'allocution du président de la République hier soir à la télévision, la hauteur de vue historique qu'il a manifesté, la fermeté dont il a fait preuve, sa générosité, etc. "Chez ces gens là, aurait pu dire Brel, on trouve généreux de faire l’aumône." Je m'autorise la paraphrase, tellement elle me paraît refléter la réalité.

Dans les mots du président, qui s'est planqué pendant 15 jours derrière ses obligations internationales, pendant que les Champs Élysées s'embrasaient, il y a ceux derrière lesquels il y avait quelque chose à grailler, des pseudos cadeaux : l'entourloupe à 100 balles du SMIC, la prime de fin d'année non obligatoire (au bon cœur des entreprises qui ont les moyens de la payer), et la CSG restituée à une tranche de retraités (enfin, pas celle qu'ils ont déjà payée, celle qu'ils auraient dû payer l'an prochain).

Dans toute cette mansuétude présidentielle, il n' y a pas un sou sorti de sa poche, peut-être 15 à 20 € de contribution à l'augmentation du SMIC, qui repose essentiellement sur des baisses de charges, c'est à dire une ponction sur le salaire différé (sécu, retraite, chômage) de ses bénéficiaires. Reste la défiscalisation des heures sup, elle-même financée par du salaire différé, dont ne pourront bénéficier ni les chômeurs, ni les SDF, ni les handicapés, ni les artisans, ni les indépendants.

Il y avait malheureusement aussi beaucoup de mots vides dans la bouche du président, servis comme autant d'éléments de langage au détour de phrases alambiquées, qui en disaient tant et si peu qu'elle ne voulaient plus rien dire. De la lutte contre l'évasion fiscale, brandie comme un cheveu sur la soupe par un chevalier sans armure pris la main dans la confiture, à la fermeté de parole affichée à l'égard de ceux qui, comme la plupart des entreprises du CAC 40 ou des grandes banques françaises, en sont à un stade avancé d'optimisation de l'optimisation fiscale, c'était du grand comique. ; du grand Guignol même, presque surjoué, qui aurait pu prêter à rire, si ce n'était tragique.

Le président semble avoir choisi son camp, le camp de ceux qui n'ont pas eu besoin de descendre dans la rue pour obtenir ses faveurs (mais peut-être leur devait-il quelque chose), et qui ne se préoccupent ni de fin du mois, ni de fin du monde. Est-il logique de continuer à verser des milliards d'euros de CICE à de grandes entreprises championnes de l'optimisation fiscale ? Et l'Etat ne pouvait-il pas lui-même flécher la part de recettes de l'ISF à laquelle il a renoncé, dont on finira par découvrir qu'elle est allée pour 80 % à la spéculation, vers l'investissement dans l'économie réelle ?

Le ruissellement n'opère pas. Ceux qui sont supposés en bénéficier en savent quelque chose. Dans les territoires oubliés de la start-up nation, la situation se dégrade inexorablement depuis trente ou quarante ans. La multitude souffre. Et aujourd'hui elle se soulève. Et dans ce soulèvement, elle retrouve un peu de dignité. Et face à une adversité qui ne condescend pas à dire son nom, elle redécouvre la solidarité, la fraternité et l'entraide.

"Rien ne sera plus comme avant", a dit le président. Les insurgés en sont certainement convaincus. Rien n'effacera plus ce qu'ils ont vécu. Ils savent qu'il peuvent faire trembler la République. Et dans ces mots du président, il y avait peut-être comme une menace cachée, comme un sourcil froncé. A t-il pris à bras le corps une situation insurrectionnelle ? A t-il entendu les insurgés chanter la Marseillaise ? A t-il vraiment pris la mesure  de ce qui se joue dans le pays ? Rien ne l'indique. Surtout pas la légèreté avec laquelle il a évoqué une vague consultation des maires, et un débat qui devra avoir lieu à l'échelle nationale, avec tous les corps intermédiaires.

Les insurgés ne reconnaissent pas de corps intermédiaires, et les maires peuvent tout au plus organiser une consultation populaire au sein d'assemblées citoyennes, et se faire le relais de leurs propositions. L'ordre établi est injuste et même irresponsable, à l'égard des enjeux climatiques, notamment. Si les insurgés ne sont pas considérés et entendus, ils le renverseront un jour ou l'autre, d'une manière ou d'une autre, à moins qu'il ne s'affaisse de lui-même.

Le jacobinisme à la française a vécu. De nouvelles formes de communalisme émergent. Mais on ne peut pas demander au roi de conduire la révolution. Car il s'agissait bien d'un monarque qui s'exprimait hier, un jeune roitelet inexpérimenté, qui prend son peuple pour une bille.

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