17 déc. 2018

Citoyen sans gilet, aux côtés des Gilets jaunes de Toulouse


Combien d'éditorialistes pérorant à longueur de journée sur les plateaux feutrés des chaînes d'info en continu - sur ce qu'ils croient être un mouvement social mais est en vérité un vrai soulèvement populaire, de ceux qui mènent à des révolutions - sont allés à la rencontre des Gilets jaunes : sur les ronds points, dans les manifestations, ou dans les premières assemblées générales ?

Je ne parle pas des journalistes, qui prennent tous les risques sur le terrain. Mais des "éditocrates" qui commentent le mouvement à longueur de journée sur un ton donneur de leçons, radotent quantité de poncifs bien pensants et d'idées reçues, s'improvisent piètres moralistes, et ne font au final que servir la soupe à un gouvernement qu'ils ne veulent pas voir aux abois, parce qu'il n'ont rien compris à ce qui se passe. Peut-être sentent-ils confusément, malgré tout, que leurs privilèges de petits marquis des médias sont menacés.

Pour leur information, ils étaient 200 à 300 participants, dimanche 16 décembre à Toulouse, à la deuxième assemblée générale organisée par les Gilets jaunes de la région. Étaient présents également des Gilets jaunes de Montauban, d'Auch, de Villefranche de Lauragais, où ils sont très mobilisés. Il y a des groupes dans toute l’Occitanie : à Carcassonne, Narbonne, Perpignan, Béziers, Montpellier ; et même à Quillan dans l'Aude, le petit bourg où j'ai grandi, où ils sont une soixantaine. La veille à Montauban, ils était 2000 à défiler dans la rue ; les agriculteurs étaient de la partie ; et la manifestation a dégénéré.

L'ordre du jour est à l'organisation. Il va falloir innover. Le rejet de la représentativité est massif. A peine auto-désignés, les porte-parole improvisés, messagers, "gilets libres" (hués par l'assemblée) et autres coqueluches des médias sont destitués et voient leur parole délégitimée. Les Gilets jaunes rejettent en bloc toute forme de démocratie représentative, et ne veulent entendre parler que de démocratie directe. En l'état, il n'y a pas de dialogue possible avec le gouvernement, que les insurgés veulent de toute façon renverser ; ni aucun représentant que l'on puisse désigner par le vote, ou par tirage au sort.

Il va y avoir des prises de parole. Plusieurs dizaines au total. Un homme, une femme, en alternance. On prévient que les propos racistes et sexistes sont interdits. Ceux qui veulent s'exprimer doivent s'inscrire sur une liste. L'assemblée générale a lieu sous l'abri du parking de la zone de loisirs de Sesquières, au bord du lac. Il pleut. L'humidité pénètre. On sert du café chaud sur un stand. On peut aussi se restaurer de gâteaux faits maison. Il y a une tirelire. On donne ce qu'on veut.

En amont des prises de paroles, plusieurs soutiens sont invités à s'exprimer. Une jeune lycéenne explique comment son groupe s'est fait piéger dans une rue par les forces de l'ordre la semaine dernière, et asperger abondamment de gaz lacrymogène. Elle finit par s'effondrer en pleurs sur l'estrade. L'assemblée l'encourage à reprendre son souffle et à poursuivre son récit. Des étudiants de l'Université du Mirail lui succèdent, qui ont décidé de soutenir le mouvement. Ceux de Sciences Po Toulouse leur emboîtent le pas.

Une militante de l'association toulousaine Handi-Social raconte un de leurs faits d'arme. Pénétrant à plusieurs sur le tarmac de l'aéroport de Toulouse-Blagnac avec leurs fauteuils roulants, ils sont parvenus à perturber le trafic aérien. Depuis son fauteuil motorisé, qu'on n'a pu monter sur l'estrade parce qu'il est trop lourd, elle s'exprime d'une voix forte et déterminée. Elle est chaudement applaudie.

Des street-medics viennent ensuite expliquer comment ils interviennent sur les manifestations pour soigner les blessés, et quelle est leur logistique. Parfois, ils prennent aussi en charge des policiers, et ne font pas de différence. Des pharmaciens de la ville les fournissent gratuitement en compresses, pansements, sérum physiologique... mais ils ont besoin de dons. La veille à Toulouse, lors de la manifestation, plusieurs groupes de street-medics se sont vus confisquer leur trousse de soins par la police.

On apprend qu'au moment même, les forces de l'ordre sont en train d'évacuer des ronds points. Castaner met ses menaces à exécution. Personne ne s'en préoccupe vraiment. Tout le monde a l'air de penser que ce n'est que partie remise. Vient le tour d'une avocate toulousaine. "Nous sommes plusieurs collègues à offrir gratuitement nos services aux Gilets jaunes", indique t-elle. Les personnes gardées à vue où qui doivent passer en comparution immédiate peuvent faire appel à eux.

Un bulletin de vote circule, avec une douzaine de revendications constitutionnelles et une douzaine de revendications législatives. Elles remontent de la base. Il faut cocher une case devant chacune d'elles (urgent, secondaire, inutile) avant de remettre son bulletin.

Au fil des prises de paroles, plusieurs préoccupations se font jour. Comment être mieux informés des actions effectuées par les uns et par les autres ? Comment communiquer plus efficacement sans faire l'objet d'une surveillance étroite par la police, comme c'est certainement le cas sur des réseaux sociaux comme Facebook ? Comment organiser un contre-pouvoir médiatique, faire entendre un autre discours que celui des médias dominants ? Etc.

Un participant propose d'organiser des tables rondes et des débats avec des intervenants de qualité, pour s'informer, s'éduquer, et débattre sur de nombreux enjeux nationaux et européens. Beaucoup expriment leur colère, leur révolte, leur détermination qui reste intacte, et leur volonté de passer Noël sur les ronds points. De la mère de famille au retraité, les prises de position sont radicales. Tout le monde veut dégager Macron.

L'organisateur de cette deuxième assemblée générale des Gilets jaunes de Toulouse, désigné sur la base du volontariat, annonce que des groupes de travail vont se constituer : "Ce sont des pistes de réflexion qui pourront être complétées par les idées de chacun. Il s'agit d'une commission Communication pour porter la parole de tous, d'une commission Action, et d'une commission Politique pour nos revendications", explique t-il. Chacun est libre de s'inscrire pour y participer, sur une base volontaire.

Le mouvement cherche à se structurer, et à engager un processus de changement en profondeur, qui doit partir de la base. Sur ce point, le message envoyé depuis le parking de Sesquières est clair. Macron, Philippe et Castaner peuvent se le dire une bonne fois pour toutes, en paraphrasant le groupe toulousain Zebda : il n'y aura pas d'arrangement.

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