4 janv. 2019

Les Gilets jaunes et la bombe à retardement des élections européennes



La violence presque dédaigneuse manifestée dans le maintien de l'ordre par le pouvoir exécutif a radicalisé le mouvement des Gilets jaunes, qui est devenu proprement insurrectionnel, et s'inscrit désormais dans une longue tradition historique (Révolution française, révolte ouvrière des canuts, février 1848, Commune de Paris...). Eric Hazan, écrivain et fondateur de La fabrique, qui édite les brûlots politiques du Comité invisible (comme "L'insurrection qui vient", essai collectif et anonyme publié en 2007), le rappelle dans un entretien accordé à Le Media (vidéo-ci-dessus), dans lequel il livre sa lecture du mouvement.

Les Gilets jaunes n'ont pas l'intention de lâcher le morceau. Ils ne l'ont pas lâché pendant la période des Fêtes ; ils ne le lâcheront plus d'ici les prochaines élections européennes, dont la campagne peut devenir explosive, comme elle peut aussi être l'occasion d'un véritable débat citoyen sur le fond, à la fois législatif et institutionnel, partout en Europe - comparable à celui qui a spontanément eu lieu à l'occasion du référendum de 2005 sur le projet de traité constitutionnel.

Les insurgés conservent le soutien de la population, qui leur est presque reconnaissante, dans sa grande majorité, d'avoir ouvert la voie à de nouvelles alternatives politiques citoyennes, et démontré la possibilité de faire trembler les fondations d'un ordre libéral structurellement spoliateur, et de plus en plus coercitif sur le plan régalien. Les consignes de répression violente données aux forces de l'ordre par le gouvernement, parfois à l'endroit des manifestants les plus pacifistes, sont là pour en témoigner.

Ce que les Gilets jaunes vivent et expérimentent, sur les ronds points, sur les points de blocage ou dans les manifestations, sur le plan de l'entraide et de la fraternité comme sur celui des capacités de mobilisation et d'auto-organisation dont ils font preuve, va forcément laisser "une trace profonde dans la transformation politique des sociétés postindustrielles", analyse les sociologue Michalis Lianos. Il n'y aura pas de retour à la normale, pas de rentrée dans les rangs. Les choses ne seront plus jamais comme avant. Elles ne le sont déjà plus.

Le dialogue est rompu entre la représentation nationale et les citoyens. Une partie de la population a fait sécession. L'autorité de l'Etat est contestée. La question se pose, désormais, de savoir quelle peut être l'issue politique de ce soulèvement populaire. Cette issue politique est à débattre, à imaginer et à construire dès maintenant, si le mouvement des Gilets jaunes ne veut pas s'enfermer dans une logique nihiliste, et s'étioler dans des combats de rue stériles.

Les actions de blocage de l'économie, comme celle en cours d'organisation pour le 13 janvier prochain, sont certainement un mode d'action beaucoup plus efficace, à ce stade, que celui de lever encore des barricades. Au delà, la structuration politique d'un mouvement qui rejette en bloc toute forme de représentation, et expérimente spontanément de nouvelles formes de démocratie directe, peut prendre de multiples formes : assemblées citoyennes à l'échelon local, universités populaires, débats publics, constituante, états généraux, grève générale, création d'un parlement citoyen, de coopératives, etc.

Ce qui motive les Gilets jaunes français, et les mobilise au delà de sensibilités politiques parfois très divergentes, a un caractère universel, comme souvent dans les révolutions françaises ; et il inspire déjà d'autres peuples. "De l'Allemagne à Israël, en passant par la Serbie, l'Afrique du Sud ou l'Égypte, pas moins de 16 pays d'Europe, d'Afrique et du Moyen-Orient ont vu fleurir des manifestations inspirées du modèle français", rapporte le Huffington Post.

Le schéma est des plus classiques. Il s'agit de se lever contre un ordre établi ressenti comme profondément injuste, et d'abolir les privilèges dont il permet à une minorité de jouir. Les inégalités et les injustices sociales sont criantes. Elles crèvent plus que jamais les yeux d'une foule qui n'est pas "haineuse", mais simplement excédée et révoltée. La légitimité des puissances bancaires, économiques et financières qui gouvernent le monde - dont le président Macron et son gouvernement, mais aussi la Commission européenne et sa présidence, ne sont que les marionnettes dociles - est remise en cause.

Lorsque les véritables leviers du pouvoir seront identifiés au sein de l'Union européenne ; lorsque le voile sera totalement levé sur le détournement de l'idéal européen par une oligarchie technocratique dont le conservatisme libéral bon tain n'est que le verni d'une forme de fascisme économique et bancaire ; lorsque les Gilets jaunes français auront fait la démonstration de leur capacité à l'autogestion et à l'organisation de nouvelles formes de société - plus locales, démocratiques, participatives et souveraines -, le mouvement peut s'internationaliser.

Les forces politiques traditionnelles tenteront de le diviser et de jouir électoralement du fruit de cette division. Mais les listes de Gilets jaunes peuvent se multiplier, en France comme en Belgique, en Allemagne, en Espagne, en Italie... et faire vaciller l'Europe libérale sur ses bases, en prenant le Parlement européen par les urnes. Ce serait moins violent qu'une occupation de son hémicycle de Strasbourg, vide les trois-quart du temps, pour y installer la première assemblée citoyenne de l'Union.

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