6 nov. 2019

Le système capitaliste est rompu, prévient un insider de la finance

"Le monde est devenu fou et le système est cassé". C'est le titre d'une tribune publiée sur LinkedIn par Ray Dialo, co-responsable des placements et co-président du conseil d'administration de Bridgewater Associates, l'un des plus gros fonds d'investissement spéculatif au monde, dont il est co-fondateur. Le message n'est pas nouveau, qui alerte sur la spirale infernale dans laquelle notre système monétaire et financier s'est engagé à l'échelle mondiale. Ce qui l'est, en revanche, c'est qu'il soit émis par un insider du monde de la finance. L'article, auquel je vous renvoie si vous lisez l'anglais, résume en quatre points ce qui rend la situation insoutenable à court ou moyen terme :

- D'une part, l'argent est devenu presque gratuit, et n'a jamais été ausssi abondant, grâce à la planche à billets que font tourner les banques centrales, qui rachètent des actifs financiers à tour de bras depuis dix ans, dans une tentative futile et désespérée de relancer l'activité économique. Dès lors, les emprunteurs solvables obtiennent des prêts à des taux très bas voire négatifs, car les investisseurs ont trop d'argent qu'ils ne savent plus où placer. Cette dynamique fait monter le prix des actifs financiers, mais s'effondrer les perspectives de retour sur investissement. Car l'essentiel de l'argent en circulation va à la spéculation et ne relance pas l'économie réelle, qui ne crée pas de valeur. Jamais autant d'entreprises n'ont vendu aussi facilement leurs actions alors qu'elles réalisent encore de lourdes pertes, et ne se fixent même pas pour objectif prioritaire de devenir rentables à court ou moyen terme. Les investisseurs ayant des montagnes d'argent à placer, ils achètent les rêves qu'elles leur vendent sans barguigner. Tant que tout le monde y croit et joue le jeu, tout va bien. C'est pourquoi le fait que Ray Dialo n'y croit plus est très inquiétant.

- Dans le même temps, les gouvernements enregistrent de lourds déficits budgétaires qui nécessitent d'alourdir constamment leur dette. Cet accroissement permanent de la dette ne peut en principe être absorbé sans faire monter les taux d'intérêt, mais les banques centrales ne peuvent y songer, car ce serait dévastateur pour les marchés et les économies. "D'où viendra l'argent pour acheter ces obligations et financer ces déficits ?", demande Ray Dialo. Et de répondre : "Il viendra presque certainement des banques centrales, qui achèteront la dette produite avec de la monnaie fraîchement imprimée. Toute cette dynamique [...] va se poursuivre et probablement s'accélérer, en particulier dans les pays à monnaie de réserve, c'est-à-dire aux États-Unis, en Europe et au Japon."

- Au même moment, les pensions de retraite et les prestations de santé pour lesquelles les plus âgés ont côtisé deviennent de plus en plus exigibles, et les fonds de pension qui doivent les payer risquent de ne pas pouvoir remplir leurs obligations. Les rendements promis à leurs cotisants (autour de 7 %) sont très supérieurs à ceux des marchés sur lesquels ils ont placé leur argent. Il n'y aura donc pas assez d'argent, à terme, pour financer les obligations en matière de retraite et de soins de santé. Il faudra alors choisir entre : 1) réduire les prestations, 2) augmenter les impôts ou 3) imprimer de la monnaie pour combler le trou. La première voie déclencherait des mouvements sociaux. La deuxième encouragerait encore plus l'évasion fiscale des multinationales. La troisième est peut-être la plus facile à suivre, car elle permet d'effectuer une redistribution cachée de richesse, mais elle tend à faire monter le prix des actifs financiers, et à creuser ainsi les inégalités.

- Enfin, si l'argent est presque gratuit pour les plus riches (les banques privées, les fonds d'investissement, les emprunteurs solvables), il est essentiellement indisponible pour les plus pauvres et ceux qui ne sont pas jugés solvables, ce qui creuse encore plus les inégalités. Sans compter que les progrès technologiques remplacent de plus en plus les hommes par des machines dans les unités de production et créent les conditions d'un chômage endémique. "Parce que le processus de 'ruissellement' qui veut que l'argent accumulé au sommet finisse par avoir des retombées pour les travailleurs en améliorant leurs revenus et leur solvabilité ne fonctionne plus, le système qui fait que le capitalisme bénéficie à la plupart des gens est rompu", conclut Ray Dialo. Transmettre à Emmanuel Macron. Tout repose sur la confiance que les banques, les investisseurs et des hommes politiques comme lui ont encore dans ce système. Jusqu'à ce que la petite voix dissonnante d'un insider comme Ray Dialo, l'un des spéculateurs les plus prospères au monde, ne vienne l'ébranler.

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