10 juin 2019

Dans la "boîte noire" de la finance de l'ombre



Le shadow banking, ou finance de l'ombre, c'est le monde dans lequel nous fait pénétrer Maxime Renahy, auteur de l'ouvrage "Là où est l'argent" (Ed. Les Arènes) : 370 pages qui se lisent d'une traite ; le récit de ses investigations d'espion au service de la DGSE dans les paradis fiscaux de Jersey et du Luxembourg, où il a officié sous la couverture d'administrateur de fonds.

Libéré de son devoir de réserve, Maxime Renahy dévoile toute l'ingénierie financière organisée à l'échelle planétaire pour permettre aux plus riches d'échapper au fisc : un système de poupées russes imbriquées les unes dans les autres, de holdings, fonds d'investissement spéculatifs (hedge funds) et autres coquilles vides, qui n'ont d'existence que dans les écritures de cabinets d'avocats spécialisés comme celui pour lequel il a travaillé. Le seul objectif de ce système est de noyer le poisson, et d'organiser le plus opaquement possible l'évasion de l'essentiel des bénéfices vers de minuscules territoires où ils ne sont pas imposés ou presque.

Il y a au moins un enseignement que l'on peut tirer de ce livre : lever ne serait-ce qu'un coin du voile sur toute cette machinerie financière au service de l'accaparement de richesses, et identifier ceux qui en profitent (l'auteur ne fait aucun mystère des personnes physiques ou morales impliquées dans les affaires qu'il a eu à traiter, dont il fournit les noms), nécessite de recourir à des méthodes d'espionnage économique avancées, couplées avec du piratage informatique de haut vol. A cet égard, le fisc, qui connaît pourtant plutôt bien la chanson, ne semble pas disposer de moyens d'investigation à la hauteur des enjeux.

Maxime Renahy, qui a pris lui-même l'initiative de proposer ses services à la DGSE par "patriotisme", sans jamais accepter la moindre rétribution en dehors du remboursement de ses frais, a fini par ne plus se sentir en phase avec la stratégie de l'Etat profond français à l'égard du shadow banking. Que les grandes banques et les multinationales françaises soient rompues comme les autres au jeu de l'optimisation fiscale agressive (et disposent toutes de holdings et de hedge funds immatriculés dans des paradis fiscaux) ne semble pas émouvoir les autorités françaises outre mesure. "Les affaires franco-françaises ne nous intéressent pas", l'avait averti son premier contact à la DGSE.

Il n'y a pas plus de volonté politique de s'attaquer au problème à l'échelle européenne. C'est pourtant un système de spoliation à grande échelle que révèle l'ouvrage. Ou plutôt, il révèle l'ampleur de cette spoliation organisée par les plus riches, et à quel point la réalité dépasse l'imagination.

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